Chapitre 1
Dimanche 8 Mai
Les verres de champagne se disputent, s’entrechoquent, s’échangent dans un ballet de bons mots. Les dents blanches se congratulent. Dans ce murmure incessant, une main nue féminine, délicatement dessinée, vient de se poser sur un ventre rond. Une petite caresse circulaire instinctive et rassurante, balaye la robe bombée de soirée noire. La flûte de jus d’orange monte aux lèvres de la jolie future maman. Le gloss des lèvres rouges sourit. Claire veut rester sexy, pense à l’avenir et relève sa tête. Son regard est fixé sur l’écran géant. L’annonce du prochain président de la République est imminente. Les plateaux sont surexcités.
Claire a les cheveux longs et bruns. Ils ondulent et n’ont jamais autant brillé que depuis qu’elle est enceinte. Sur son épaule, vient se poser une main d’homme. Comme si ce simple contact physique faisait tout s’éteindre autour d’elle. Il n’y a plus que la chaleur de cette main rassurante et chaude.
Elle entre dans sa bulle, sa parenthèse de la soirée.
Elle n’entend plus rien, enivrée par l’alcool qu’elle n’a pas bu, seule avec son homme qui l’embrasse amoureusement. Quand elle rouvre enfin les yeux, elle se fige un instant. Il est toujours aussi beau. Peut-être plus encore ce soir. Ses fines lunettes élégantes, sa barbe brune fine, son air studieux, sa façon à lui de sembler décontracté à n’importe quel moment. Claire est si fière.
Le brouhaha de la salle revient.
— Tu ne veux pas t’asseoir ?
— Erwan, je ne suis pas malade…
Elle lui sourit, elle le dévore, elle aurait envie de lui faire l’amour tout de suite.
Et elle n’a jamais été aussi heureuse…
Erwan la dévisage un instant et finit par être attiré par la flûte qu’elle tient dans la main.
— J’espère que ce n’est que du jus d’orange pour me parler comme ça.
Claire lui lance une petite gifle au visage.
— Va travailler, le boulot d’un assistant parlementaire n’attend pas ! Et puis je suis en bonne compagnie.
Pierre, député, dont les yeux sont doux et ronds, montés sur une moustache de la IVème République vient de lui baiser cordialement la main. C’est un homme respectable, un vieux gentleman de la politique, qui a toujours réussi à fuir les grands médias nationaux. C’est peut-être ça qui l’a sauvé d’ailleurs, qui l’a fait durer en tous les cas. Il a toujours pensé local. Et a su se faire oublier à l’Assemblée des 577, laissant les roquets aboyer à sa place. Entrer en politique, c’est comme entrer dans les ordres, ça demande des sacrifices. Réélu depuis des années dans sa circonscription de la Haute-Loire, son travail est apprécié en haut lieu. Il n’en a pas moins la principale caractéristique de tout homme politique : il attaque dès qu’il se sent en danger. Il aime la terre, la boue, les bottes crottées. C’est sa sève, c’est son sang, c’est sa famille. Il a du respect pour les hommes et les femmes de courage qui bravent chaque jour les gelées de l’aube. On aime surtout son intégrité, et Erwan ne lui a jamais dit ouvertement, mais il est fier de travailler pour lui.
Pierre s’approche discrètement de son assistant et lui murmure à l’oreille :
— Tu as la charge d’aller annoncer la nouvelle au Président.
© Crédit photo · Virginie Pourchoux
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